Dès les années 1950, les premiers travaux scientifiques sur la persécution des Juifs sous l'Occupation, fondés sur les archives de l'État, ont réduit à néant les justifications des dirigeants de Vichy à la Libération : le « moindre mal », « sacrifier » les Juifs étrangers pour « sauver » les Juifs français, etc.
Depuis, l'historiographie, qui a abouti dans les années 1970-1980 aux travaux majeurs de Robert Paxton ou de Serge Klarsfeld, n'a cessé de se développer, au point qu'il est sans doute impossible de dresser la liste exhaustive des milliers de titres parus.
D'où la nécessité d'une présentation des acquis les plus récents de la recherche, française et internationale, sur la Shoah en France. Telle est l'ambition du présent ouvrage, à l'échelle des acteurs, dirigeants comme simples citoyens, qui permet de comprendre le bilan de la « solution finale » en France : 74 150 déportés ; plus de 200 000 non-déportés.
Malgré la volonté génocidaire de l'occupant et la politique des dirigeants de Vichy visant à mobiliser toute la puissance de l'État contre les Juifs apatrides et leurs enfants, les obstacles dans l'administration et la société étaient suffisamment nombreux pour que, dès les grandes rafles de l'été 1942, en dépit des dizaines de milliers d'arrestations, la majorité des victimes parviennent à s'en sortir.
Une mise au point salutaire alors que le savoir scientifique sur les crimes du XXe siècle est régulièrement attaqué à des fins nationalistes.
C'est avec une terrible soif de vengeance, après les exactions commises par les allemands en Russie, que l'Armée rouge atteint les frontières du Reich en janvier 1945, puis s'approche inexorablement de Berlin, « l'antre de la bête fasciste ». Et cette vengeance sera effroyable : villes et villages anéantis, civils écrasés par les chenilles des chars, meurtres en série, pillage systématique. Des centaines de milliers de femmes et d'enfants périssent, souvent de faim ou de froid, et plus de sept millions de personnes s'enfuient vers l'ouest pour tenter d'échapper à la mort et à la terreur. Le viol devient systémique, de sorte que pas moins de deux millions d'Allemandes en sont victimes - chiffre corroboré par les rapports secrets que le NKVD envoie à Moscou.
Pour avoir révélé dans ce livre l'ampleur du phénomène, Antony Beevor fut accusé de diffamer l'Armée rouge et déclaré persona non grata en Russie par Vladimir Poutine. Hitler, confiné dans son bunker souterrain, à moitié fou, veut orchestrer le Götterdämmerung d'un peuple allemand qu'il estime n'avoir pas été à la hauteur du destin qu'il lui assignait. Les Berlinois paieront de leur vie par dizaines de milliers le fanatisme suicidaire du Führer, tandis que Staline prépare déjà l'après-guerre en cherchant à mettre la main sur l'arme nucléaire que préparait le Reich dans un laboratoire secret dans la banlieue sud de Berlin.
S'appuyant sur des archives souvent inédites, Antony Beevor nous livre non seulement un document historique capital, mais aussi un grand récit tragique et poignant, où l'on voit se déchaîner, portées à leur paroxysme, toutes les passions humaines.
Le 17 septembre 1944, le général Kurt Student, créateur des forces aéroportées allemandes, entend le rugissement crescendo d'un grand nombre de moteurs d'avion. Il sort sur la terrasse de la villa qu'il occupe et qui domine le plat pays du sud des Pays-Bas pour regarder passer l'armada de Dakota et de planeurs qui convoient les 1re division parachutiste britannique et les 82e et 101e divisions aéroportées américaines. Ce n'est pas sans une pointe de jalousie qu'il contemple cette démonstration de force aéroportée.
Market Garden, le plan du maréchal Montgomery consistant à donner le coup de grâce à l'Allemagne nazie en capturant les ponts hollandais donnant accès à la Ruhr était audacieux. Mais avait-il la moindre chance de réussir ? Le prix à payer quand il s'avéra un échec fut effroyable, en particulier pour les Néerlandais qui avaient tout fait pour aider leurs libérateurs éphémères. Les représailles allemandes furent cruelles et sans pitié, et ce jusqu'à la fin de la guerre.
Quant à Arnhem et Nimègue, villes cartes-postales au coeur de l'Europe civilisée, elles se retrouvèrent, à l'arrêt des combats, dévastées et jonchées des cadavres d'innombrables jeunes soldats qui avaient payé de leur vie l'hubris de leur haut commandement.
En puisant dans une documentation prodigieuse et parfaitement maîtrisée composée pour beaucoup d'archives inexploitées hollandaises, britanniques, allemandes, américaines et polonaises, Antony Beevor nous fait vivre la terrible réalité d'une bataille dont le général Student lui-même prédit avec lucidité qu'elle donnerait à l'Allemagne sa « dernière victoire ».
Son récit implacable, qui alterne les gros plans et les vues d'ensemble, nous plonge au coeur même de la guerre, et rend hommage à des milliers de héros anonymes que l'Histoire a oubliés.
L'Historie est, hélas, féconde en exemples de massacres collectifs. Jamais, toutefois, une tentative d'extermination d'un peuple ne fut aussi systématique que l'élimination des Juifs entreprise par Hitler et le IIIe Reich. Bien des voix, depuis, se sont élevées pour dire l'indicible, pour faire en sorte que l'horreur ne soit jamais atténuée par les années, peut-être même banalisée. Mais, très tôt, un homme réussissait, avec une douloureuse objectivité, à démonter le terrible mécanisme de l'holocauste : Léon Poliakov.
Son Bréviaire de la haine, préfacé par François Mauriac, se devait d'être réédité, car, au-delà des passions, c'est l'oeuvre authentique d'un historien. Après cinq ans d'étude des archives allemandes, d'interrogatoires des témoins et des victimes, il a pu mettre à jour les rouages implacables de la technique qui a permis, au XXe siècle, de tuer six millions d'hommes pour des raisons purement raciales. De la promulgation des premières lois anti-juives à la "solution finale", un processus a été mis au point par Hitler qui, débutant sur des bases légales, a peu à peu pris la forme d'une idéologie raciste de plus en plus perfectionnée : mesures limitant les activités économiques des Juifs, sacralisation de l'Aryen, incitation aux progromes, utilisation des plus bas instincts. Dans l'Europe enitère, ce fut alors un embrasement dément et démoniaque, un piège de la haine où ont été pris, avec les Juifs, les Allemands eux-mêmes et les racistes de pays occupés.
Ce processus implacable, il est nécessaire d'en connaitre la nature. aucun peuple, en effet, ne peut être certain qu'il n'en sera plus l'auteur, ou la victime.
La bataille de Stalingrad, qui commença le 23 août 1942, fut sans doute le tournant psychologique de la Seconde Guerre mondiale. Parce que la grande ville industrielle sur la Volga portait son nom, et parce qu'une victoire allemande aurait loupé la Russie en deux, Staline décréta : « Pas un pas en arrière ! », et veilla à ce que le NKVD fasse respecter sa consigne à la lettre. S'ensuivirent quatre mois de guerre urbaine impitoyable qui se terminèrent par l'encerclement et la reddition de la 6e Armée de la Wehrmacht. Cette bataille et ses retombées coûtèrent la vie à 500 000 hommes de part et d'autre et firent le double de blessés, sans compter les victimes civiles, innombrables.
Stalingrad est le livre référence sur le sujet. Parfaitement documenté et enrichi des témoignages de nombreux survivants, il fait vivre au lecteur cette « mère de toutes les batailles » au plus près de l'action, du « Wolfschanze » de Hitler en Prusse-Orientale aux lignes de front, qui bougeaient sans arrêt et qu'on se disputait à la grenade, au lance-flammes et au corps à corps.
Stalingrad a été publié pour la première fois en français en 1999. Cette « édition des 20 ans » intègre nombre d'ajouts et de corrections apportés au texte par l'auteur au fil des années, ainsi qu'un avant-propos inédit, écrit spécialement pour la réédition française, fourmillant d'anecdotes et racontant notamment comment il put avoir accès à des archives russes inaccessibles avant la Perestroïka, et qui furent mises sous embargo par le Kremlin peu après la publication du livre.
Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, Roms et Sinti furent la cible de persécutions multiples et de violences génocidaires dont la chronologie et l'intensité varient selon les territoires de l'Europe. Ces persécutions ont concerné des Roms, Sinti, Manouches et Gitans, ainsi que des groupes associés par l'histoire aux mesures antitsiganes et désignés par leur profession ou leur mode de vie supposé, comme les Yéniches, les vanniers, forains, circassiens et voyageurs. En Europe de l'Ouest, plusieurs termes furent employés pour qualifier cette population définie ou désignée comme Zigeuner, en allemand et hollandais et Zingari, en italien. En France, le terme nomades fut employé pour désigner les personnes relevant du régime discriminatoire imposé par la loi du 16 juillet 1912.
L'occultation souvent délibérée et la reconnaissance tardive des persécutions contribuèrent à la marginalisation, dans les historiographies et les mémoires nationales, de faits qui entraînèrent l'élimination physique de plus de 200 000 personnes à l'échelle de l'Europe et la dislocation irréversible des société romani d'avant-guerre. Même si de nombreuses zones d'ombres demeurent, les chapitres de cette histoire apparaissent désormais très clairement : un premier processus comprend la ségrégation dès 1933, la définition raciale, la déportation et l'assassinat des Roms et Sinti dans les territoires du Grand Reich comprenant l'Allemagne, l'Autriche, la Bohême-Moravie, la Pologne annexée ainsi que l'Alsace-Lorraine, le Luxembourg et une grande partie de la Slovénie ; un second processus entraîne une répression ciblée et meurtrière au sein des États alliés comme la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie ou la Roumanie ; un troisième processus implique l'élimination physique et systématique à l'Est, lors de l'avancée des groupes mobiles de tuerie, de la Baltique à la Crimée.
Ce numéro de la Revue d'histoire de la Shoah porte sur les persécutions et les violences génocidaires commises dans plusieurs pays de l'ouest de l'Europe, aux Pays-Bas, en France et en Italie. Dans ces territoires, le caractère composite des outils répressifs traduit une grande pluralité de dispositifs suivant l'application variable des mesures antitsiganes : assignations à résidence, détentions, internements, concentrations, exécutions ciblées ou aléatoires, déportations vers les centres de mise à mort ou le réseau concentrationnaire. Les articles de ce numéro permettent d'éclairer la diversité des logiques à l'oeuvre, les modalités distinctes des violences et leurs effets sur les collectifs visés. L'écriture de cette histoire multiple, à travers l'exploration de nouvelles archives, l'étude de destins individuels et collectifs, ainsi que la mémoire des faits sont au coeur des études publiées dans ce numéro. Il fait suite au programme ANR RomaResist, Dislocations et résistances. Violences génocidaires et persécutions des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l'Ouest, 1939-1946, dirigé par Ilsen About au sein de l'EHESS.
Jérôme Cordelier est parti à la rencontre de ces chrétiens, catholiques, protestants, orthodoxes qui résistèrent aux nazis et dont les rôles sont de nos jours minimisés.
On a souvent souligné les compromissions avec Pétain et le régime de Vichy des chefs des Églises, à raison, mais sans se souvenir que plusieurs d'entre eux furent aussi reconnus Justes pour avoir sauvé des juifs. On a oublié, surtout, que de nombreux prêtres, pasteurs, religieux, religieuses et une multitude de simples croyants furent parmi les premiers à se dresser contre l'occupant. Certains ont agi sur le devant de l'Histoire - de Gaulle et Leclerc, au premier chef -, la plupart dans un secret absolu.
De la Corrèze jusqu'à Yad Vashem à Jérusalem, cette enquête de terrain, très documentée et nourrie des confidences de survivants, met l'accent sur ces femmes et ces hommes qui se sont engagés, parfois sacrifiés, pour la liberté, leur patrie mais aussi avec la haute idée qu'ils se font de l'humanité. Au nom d'un idéal qui guidait leur vie, ils se sont battus pour que leurs contemporains vivent la leur. Ils n'ont pas toujours combattu au nom de leur foi, mais celle-ci les a pétris, a été constitutive de leur vision du monde et les a soutenus à travers les épreuves. Ces grands témoins peuvent éclairer de leur halo de lumière nos chemins cabossés
Ils sont 1 032 hommes et 6 femmes à avoir été reconnus par le général de Gaulle comme ses Compagnons « pour la Libération de la France dans l'honneur et par la victoire ».
Aux lendemains de la guerre, ils n'étaient déjà plus que 702, 65 ayant été tués durant les combats et 271 décorés à titre posthume. Le dernier Compagnon, l'ancien ministre Hubert Germain, a donné son accord pour aller occuper à sa mort, selon la volonté du général de Gaulle, le seul caveau laissé vide dans la crypte du Mont Valérien. Se refermera alors une épopée probablement unique dans l'histoire de France.
Ils étaient soldats, civils, étudiants, enseignants, agriculteurs, pêcheurs, mariés ou célibataires, croyants ou athées, français ou étrangers. Ils se sont battus partout dans le monde et dans chaque recoin de France. En apparence, leurs points communs étaient rares. Peut-être même n'y en eut-il qu'un seul, mais il est primordial : chacun de ces 1 038 Compagnons eut à se confronter, souvent en quelques minutes, à la question essentielle du sens de sa vie face au sort infligé à son pays.
Jean-Christophe Notin invite à s'interroger sur ce dilemme en proposant pour chaque jour de l'année le portrait dépouillé d'un Compagnon avec sa photo captivante. Se dégagent ainsi de ces centaines de trajectoires les principes universels de la liberté, de l'espoir, de la volonté, du dévouement.
« Auschwitz ce n'était rien [après Treblinka], Auschwitz c'était un camp de vacances. » Ainsi s'exprimait Hershl Sperling, l'un des très rares survivants du plus effroyable centre de mise à mort de l'Aktion Reinhard. Son propos peut sembler sacrilège au lecteur peu informé de la réalité de Treblinka. En effet si le nom de ce site est connu, son histoire, comme celle de Belzec et de Sobibor, l'est beaucoup moins, les nazis ayant pris grand soin d'effacer les traces de leur entreprise barbare, de liquider les derniers témoins et de raser les vestiges qu'ils abandonnaient. D'où le défi que pose cette « impossibilité de rendre compte ». Ainsi, dès 1943, le site de Treblinka avait-il déjà repris l'aspect d'une exploitation agricole.
Dernière halte d'un chemin noir tracé depuis Berlin, Treblinka, parmi tous les centres de mise à mort, devança Auschwitz en efficacité. C'est là que la destruction des Juifs fut le plus « expéditive » : près d'un million de personnes y furent assassinées en 400 jours. S'appuyant sur des sources inédites, Michal Hausser Gans décrit en détail, depuis sa genèse, le fonctionnement du camp, soulignant les transformations entreprises pour perfectionner la machine de mort. Jusqu'à la révolte du 2 août 1943, relatée par certains des survivants qui, contre toute attente, parvinrent à gripper la machine de ce modèle insurpassé de l'industrie génocidaire.
Cette étude exhaustive permet pour la première fois de rendre accessible à un large public la confrontation avec « le pire du pire » et avec ce cheminement vers l'horreur que l'Europe échoua si longtemps à déchiffrer.
Intitulé « Nouvelles recherches sur la Shoah en Pologne », ce dossier rassemble des contributions portant sur des approches novatrices, aussi bien de termes de sources nouvelles mobilisées que d'approches. Les sources et récits des victimes et rescapés juifs sont mobilisés dans leur croisement avec les documents officiels et clandestins de l'époque. Les écrits pionniers des historiens survivants de la Shoah, à l'instar de Nachman Blumental, directeur de l'Institut d'histoire juive de Varsovie jusqu'en 1949, sont redécouverts et appréciés pour leur clairvoyance précoce.
L'approche micro-historique met en valeur la diversité locale des situations, tout en révélant des mécanismes comparables dans la persécution et la (faible) survie des Juifs dans les villes les plus connues (Varsovie, Lodz) ou plus modestes (Tarnow). La prise en compte de la matérialité - celles des corps après les gazages dans les centres de mise à mort comme Belzec ou Sobibor, mais aussi celle des déchets accumulés dans les ghettos - offre des clefs supplémentaires d'intelligence du quotidien de ces hommes, femmes et enfants traqués, enfermés ou cachés, et le plus souvent anéantis dans d'immenses souffrances.
Enfin, l'histoire de l'extermination des Juifs de Pologne gagne à être replacée dans le temps long, permettant de voir non seulement les dynamiques d'exclusion rhétoriques et effectives à l'oeuvre dans la Pologne de l'entre-deux-guerres mais aussi la très longue ombre portée de la Shoah bine après la guerre et jusqu'à aujourd'hui. Ce numéro est d'autant plus essentiel à l'heure où s'épanouissent en Europe des discours de distorsions sur l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et sur la Shoah, visant à remettre en cause des acquis irréfutables et consensuels de la science historique au profit d'une narration plus confortable pour les sociétés, mais malhonnête et pouvant même légitimer des actions politiques les plus violentes.
Leïb Rochman écrit son Journal entre 1943 et 1944 au moment où il vit caché derrière une double cloison chez une paysanne polonaise puis dans une fosse creusée dans une étable avec d'autres compagnons polonais, allemands, russes ou ukrainiens. Il ne livre jamais sa localisation exacte, il cite toujours, avec une extrême prudence, un village ou un lieu-dit à une certaine distance.
Ils passent des jours entiers, en rang d'oignons, les visages tournés vers le mur sans possibilité de s'asseoir. Avec talent, Leïb Rochman réussit à faire entendre le monde extérieur, l'écho des animaux, les détonations des tueries, les conversations de leur hôte avec les villageois. Le texte frappe par la force de leurs relations, de l'amour qui les lie entre eux et avec le peuple juif, et qui leur permet de survivre.
Leib Rochman nous fait entendre une voix folle de douleur mais il raconte aussi qu'en dépit de tout, lui et ses compagnons continuent d'observer l'essentiel des lois du judaïsme. Il nous livre ici une conception du monde pétrie de Torah (Pentateuque et plus largement Premier Testament) qui se déploie au fil des pages.
Jusque dans son approche des animaux domestiques, des souris et des mulots, des déflagrations et du tonnerre des combats et, bien sûr, des eaux qui les submergent dans leur dernière cachette, l'empreinte divine, le caractère cataclysmique et annonciateur d'une ère nouvelle ou de la fin du monde sont omniprésents.
Leur foi constitue l'un des aspects les plus poignants de ce témoignage. Ils ne cessent d'être portés par leur aspiration à construire une vie nouvelle comme à se reconstruire en tant qu'êtres humains, libres, dans un lieu où les Juifs seraient enfin les maîtres de leur destin. Un État juif, précise Rochman en Eretz-Israël. Là même où il s'éteindra en 1978.
Soixante ans après la fin de la guerre, est-il encore nécessaire d'en parler ?
Le XXe siècle qui vient de s'achever aura été le temps des génocides, depuis la tuerie programmée des Herero dans le Sud Ouest africain sous tutelle allemande en 1904 jusqu'au massacre planifié des Tutsi du Rwanda en 1994. À l'heure où s'effacent de notre horizon les derniers témoins de la Shoah, eux qui au dire de Primo Levy ne pouvaient témoigner des fosses communes et des chambres à gaz, l'histoire seule sera bientôt en charge de transmettre aux générations montantes la vérité du siècle écoulé. Et parce que ni le temps ni le « devoir de mémoire » ne seront de mise face à la marée de l'oubli, le travail historien sera l'un des principaux, sinon le principal vecteur de cet effort.
La Shoah ne fut ni un « désastre juif » ni une « histoire allemande », mais la catastrophe humaine par excellence. En effet, l'Allemagne hitlérienne a rompu la trame de ce qui, jusque-là, faisait les rapports humains. Dès lors qu'on n'« a plus rien vu de sacré dans la nudité abstraite d'un être humain » (Hannah Arendt), ce n?est pas seulement l'humanité juive qui a été détruite à Auschwitz, mais la notion de personne humaine.
C'est pourquoi cette histoire, loin d'être un ressassement morbide du passé, est une réflexion actuelle nourrie par les chroniques des témoins et les analyses des historiens. Le Mémorial de la Shoah et les éditions Calmann-Lévy conjugent leurs efforts pour donner à lire au public francophone les oeuvres françaises et étrangères qui constituent cette connaissance essentielle pour l'avenir du siècle qui commence.
Qu'est-il advenu des cimetières juifs, certains récents, d'autres immémoriaux, dans la persécution et la Shoah ? Paysages péri-urbains ou ruraux singuliers, ils ont, comme toutes les institutions juives, été bouleversés en Allemagne dès 1933 puis tout au long de la guerre. Suicides et déportations s'y lisent. Parfois, ils ont disparu et été désacralisés, tandis que les corps ont été transférés dans des fosses communes. Pourtant, la plus grande partie des cimetières juifs d'Allemagne et d'Europe n'ont pas été détruits par les nazis.
Pendant la guerre, le cimetière juif fut un espace de passage, de transit au coeur de la ville hostile (comme le cimetière juif de Varsovie, adjacent au ghetto) ; il servit à rassembler les Juifs et à leur donner refuge, lorsque tous les autres lieux leur étaient interdits ; il fut le dépôt ultime des corps des victimes (juives ou non) auxquels était refusé tout traitement funéraire humain, entraînant l'ouverture de fosses communes ; il offrit aussi un cadre aux exécutions.
Après la Shoah, les cimetières abandonnés, privés de leurs morts « naturels », sont demeurés les lieux témoins de la catastrophe juive, en dépit des mouvements de réenterrement - les parents survivants recherchant les corps des disparus pour les rendre au cimetière juif. À l'absence des tombes répond la construction de milliers de mémoriaux dans les cimetières mêmes, dédiés à ceux qui sont morts dans les camps, dans la clandestinité.
Lieu du recueillement, lieu pour penser à la mort des disparus de la Shoah, le cimetière juif est aussi le lieu des traces d'années de persécution, celles gravées sur les pierres tombales des morts prématurées, celles que forment les espaces vides, en attente de morts jamais venus...
Quelques semaines après l'invasion allemande de la Pologne, pressentant que des temps lourds de dangers s'ouvrent devant eux, Emanuel Ringelblum et quelques Juifs de Varsovie mettent en place une équipe de collecte d'informations et de documents qui se réunit chaque samedi sous le nom d'Oneg Shabbat, « la joie du shabbat ».
La finalité de cette collecte va changer avec le temps : de preuves pour l'après-guerre, elle devient une accumulation de preuves pour les générations à venir. Témoignage du désastre sans précédent qui prétend éradiquer un peuple décrété « en trop » sur la terre.
Dans le même temps, Ringelblum tient un Journal, rédigé en yiddish, de façon intermittente, en un style parfois haché, voire sibyllin. Au fil des mois, la description de l'effroyable misère organisée par les Allemands prend le dessus. S'impose la description (et la colère froide qui l'accompagne) de la trahison d'une partie des classes dominantes juives, de la bassesse de beaucoup, de la trahison d'une poignée. Mais l'auteur met aussi en lumière la solidarité et la vivacité de la résistance culturelle à ce martyre. Réquisitoire implacable, ce texte, par ses notations sèches qui ne cèdent jamais à l'indignation de posture, fustige l'égoïsme de classe qui structure les sociétés juives. Comme les autres.
La présente traduction de ce manuscrit retrouvé à la Libération comprend l'intégralité des chroniques quotidiennes de Ringelblum. Après la publication d'une partie des archives d'Oneg Shabbat il y a dix ans, elle complète l'édifice des voix d'outre-tombe venues du judaïsme de Varsovie.
De très nombreux documents, exhumés récemment, sont venus affiner notre perception de l'occupation allemande de Kiev pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais ce vaste ensemble de cartes, relevés topographiques, lettres, photographies et pièces d'archives, s'il évoque les aspects militaires, politiques et administratifs de la présence ennemie, ne donne pas à voir la vie des habitants et de la ville entre 1941 et 1943.
Rédigé dans un style sobre et précis, le journal d'Irina Khorochounova, jeune bibliothécaire issue de la bourgeoisie russe traditionnelle, apporte un éclairage inédit sur le quotidien des citadins. Travaillant au contact des Allemands, l'auteur décrit avec force détails certains épisodes douloureux, comme la collaboration de certains nationalistes ukrainiens ou le pillage des bibliothèques par les forces d'occupation. Touchée de près par les arrestations, elle porte un regard personnel sur les prisonniers de guerre, le marché noir, les expulsions et la terreur qu'inspirent dans toute la population les rafles pour le travail forcé en Allemagne. Et l'arbitraire qui y préside.
Le rôle de la Waffen-SS dans la Shoah essentiellement en 1941 et 1942 est l'une des friches de la recherche : jusqu'ici, aucune monographie ne lui a été consacrée. De même la participation du Kommandostab Reichsführer-SS de Himmler est-elle encore largement inexplorée, fait d'autant plus étonnant que lejournal de guerre de 1941 du Kommandostab est édité depuis longtemps et que la progression meurtrière des brigades de Himmler dans l'est de l'Europe est donc connue. S'appuyant sur de nombreuses sources, Martin Cüppers montre que la responsabilité de la Shoah ne repose pas sur les seuls bataillons de l'Ordnungspolizei et des unités du Reichssicherhauptamt de Heydrich, mais que la Waffen-SS et le Kommandostab y participèrent activement.
Historien et enseignant, Willy Cohn (1888-1941) apparaît comme l'une des figures intellectuelles majeures de la Breslau juive de l'entre-deux-guerres (actuelle Wroclaw, en Pologne). Issu d'un milieu aisé, Cohn, médiéviste reconnu, ne put accéder à la carrière académique à laquelle il aspirait du fait des discriminations vivaces contre les Juifs, et ce en dépit de la bonne réputation dont il jouissait dans cette ville alors allemande. Il assista à l'exode de nombreux Juifs de Breslau, à l'horreur de la Nuit de Cristal en 1938 et à la détresse des Juifs qui étaient restés et qui ne pouvaient plus fuir. Bien que tentés par l'exode en Erets Israel, Cohn et sa famille ne purent mener ce projet à bien et furent déportés et assassinés en Lituanie en 1941.
Jour après jour, ce journal reflète la vie quotidienne des Juifs de Breslau, alors que s'impose le nazisme et, avec lui, l'écrasement et l'humiliation de la communauté juive, la troisième d'Allemagne. Face aux incertitudes et aux difficultés de la vie quotidienne, c'est dans la foi seulement que Cohn trouve quelque réconfort. Ces cahiers font écho aux Mémoires qu'il a laissés et constituent, avec le journal de Dresde de Viktor Klemperer, un exceptionnel témoignage de la chute programmée d'une communauté juive au sein du Reich.
Le meurtre en masse des patients handicapés, des Tziganes et des Juifs dès juillet 1933 avec la loi de stérilisation puis prolongé avec le programme d'euthanasie à l'automne 1939 fut l'acte inaugural de la Solution finale.
On retrouve d'un bout à l'autre de la chaîne une idéologie fondée sur le sang et la race. Toute personne atteinte d'un quelconque handicap (arriérés, aveugles, sourds, épileptiques ou atteints d'une difformité physique) était jugée potentiellement dangereuse pour le « capital biologique » et était assassinée. Les tueurs du « programme d'euthanasie » furent, pour partie, ceux qui oeuvrèrent dans les centres de mise à mort de Belzec, Sobibor et Treblinka où fut assassiné en 1942-1943 le coeur du judaïsme européen. La technique élaborée dans le « programme d'euthanasie » (Aktion T4) y fut testée et sans cesse réemployée.
C'est cette continuité entre « euthanasie » et Solution finale que décortique ici Henry Friedlander. À cet égard, il montre que la mise à mort des Juifs handicapés, d'abord à titre individuel, puis collectivement, est un maillon capital qui préfigure la Solution finale de l'automne 1941. Les opérations de tueries en masse opérées par l'Allemagne nazie sont toutes liées les unes aux autres.
La publication de ce livre, il y a vingt ans, a imposé l'auteur comme l'un des grands noms des « Holocaust Studies » aux côtés de Hilberg, Browning, Friedländer et quelques autres. La traduction de ce livre vient combler un vide criant dans la bibliographie française sur le sujet.
La fuite en Suisse Les Juifs à la frontière franco-suisse durant les années de « la Solution finale » Itinéraires, stratégies, accueil et refoulement À l'été 1942, « la Solution finale de la question juive » est déclenchée aux Pays-Bas, en Belgique et en France. Des milliers de Juifs prennent la fuite en direction de la Suisse, à travers la zone occupée ou la zone libre. Beaucoup sont arrêtés pendant leur voyage et déportés. Certains atteignent néanmoins la frontière helvétique.
La Suisse, attachée à sa politique d'immigration ultra-restrictive à tonalité antisémite, se voit acculée à l'adoption de mesures d'urgence : elle entrouvre ses portes à certaines catégories de fugitifs. Mais son attitude, chaotique et peu lisible, reflète des tensions internes. Plus de 12 500 Juifs venus de ou à travers la France sont accueillis. Près de 3 000 sont refoulés et abandonnés à leur sort - tous, cependant, ne périront pas en déportation.
Cet ouvrage est le premier à s'appuyer sur les archives conservées de part et d'autre de la frontière : dossiers helvétiques des réfugiés, dossiers préfectoraux français, archives des organisations d'entraide et sources mémorielles. Il retrace ce périlleux voyage vers la Suisse, qui perdure jusqu'à la Libération, malgré les régimes changeants des territoires traversés et, au bout, l'inconnu de l'accueil ou du refoulement. Il dessine aussi les profils des acteurs qui se croisent alors : les Juifs qui se décident pour la fuite ; les exécutants et collaborateurs de la politique d'extermination ; les responsables suisses à la ligne politique (hélas !) fluctuante. Il fait revivre enfin les réseaux, payants ou bénévoles, de passeurs, que viennent peu à peu renforcer les solides réseaux de la résistance juive, pour qui la Suisse devient un outil de la panoplie de sauvetage.
Elles étaient, pour les nazis, des déclassées, des « bouches inutiles » : résistantes, Tziganes, Témoins de Jéhova, malades, handicapées physiques et mentales, prostituées ou juives bien entendu. Venues de trente pays différents, de plus en plus nombreuses au fil des conquêtes allemandes, ces femmes endurèrent la brutalité et la perversité des nazis dans le camp de Ravensbrück.
Ouvert en 1939, le camp, situé à 80 kilomètres au nord de Berlin, est le seul camp à avoir été construit dans le but d'y enfermer des femmes. Elles y étaient battues, affamées, torturées, exécutées par balles, gazées, empoisonnées, mordues par des chiens, elles servirent de cobayes pour des expériences pseudo-médicales, subirent des avortements forcés, étaient assommées et tuées par le travail forcé (notamment pour l'usine Siemens).
La journaliste britannique Sarah Helm a mené un travail d'enquête minutieux pour retrouver les familles des déportées, en Pologne, en France, en Hollande, en Israël, elle a même rencontré les dernières rescapées encore en vie, dispersées partout dans le monde. De ce babel géographique et social, naissent des portraits de femmes qui ont, toute leur vie durant, gardé le silence. Pourquoi ? Par peur de ne pas être crues, mais aussi, disent-elles, parce qu'il fallait vivre et que se rappeler la terreur et les souffrances aurait été de trop. Arrivées au crépuscule de leur vie, leur parole se libère.
Entre 1939 et 1945, 132 000 femmes- dont 8 000 Françaises - et enfants ont séjourné à Ravensbrück, et jusqu'à 50 000 ont été exterminés. Pourtant, pendant plusieurs décennies, l'histoire du camp de Ravensbrück est restée plutôt marginale. Cet ouvrage vient aujourd'hui combler ce vide et compléter les travaux pionniers de Germaine Tillion.
En écho à Si c'est un homme de Primo Levi, Sarah Helm interroge l'indicible, cette impossibilité de raconter l'horreur, mais elle tente surtout de répondre à l'exhortation de Primo Levi, celle de ne « jamais oublier ce qui s'est passé ».
La rapidité avec laquelle la communauté internationale a reconnu le génocide des tutsi du rwanda -sans rien tenter pour l'empêcher- n'a eu d'égale que la vitesse d'exécution de celui-ci. les massacres d'avril à juillet 1994 ont causé, selonl'onu, la mort de 500 000 à 800 000 personnes. les autorités rwandaises, qui n'ont pas fini de procéder au recensement des victimes, en estiment le nombre à plus d'un million, ce qui ne somble guère exagéré.
Cette entreprise d'extermination n'a pas été déclenchée de façon subite et irraisonnée sous la pression de circonstances politiques imprévues. elle a au contraire été minutieusement préparée par une faction extrémiste qu sein de l'appareil d'un état fortement centralisé. avec des forces paramilitaires préparées à cet effet. son administration, et le soutien massif d'une population conditionnée depuis des mois à tuer.
Peu de commentateurs ont perçu à l'époque la gravité d'événements dans lesquels ils ont préféré voir un nouveau cycle de ';massacres interethniques';, voire un ';double génocide'; en renvoyant dos à dos bourreaux et victimes.
Quinze ans après, il s'agit de nommer les pratiques criminelles du printemps 1994 et d'affronter l'angoisse qui nous saisit chaque fois que l'on se penche sur cet abîme. en évitant de plaquer des schémas anciens sur des réalités nouvelles, car tout en effet, dans le génocide des tutsi du rwanda, semble s'inscrire hors des schémas connus et, sans doute, au-delà.
Entre 1942 et novembre 1944, l'Allemagne nazie assassine dans les chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau plus d'un million de personnes, des Juifs européens dans leur immense majorité. Un Sonderkommando (unité spéciale), constitué de détenus juifs qui se relaient de jour et de nuit, est contraint d'extraire les cadavres des chambres à gaz, de les brûler dans les crématoires et de disperser les cendres.
Quelques hommes ont transcrit ces ténèbres et ont enfoui leurs manuscrits dans le sol de Birkenau. Cinq de ces textes ont été retrouvés après la guerre. Aucun de leurs auteurs n'a survécu, les équipes étant liquidées et remplacées à intervalles réguliers. Ce sont trois de ces manuscrits, dans une nouvelle traduction du yiddish, pour partie inédite en français, qui sont présentés ici. La terreur, qui est la règle à Birkenau, est la toile de fond de cette histoire. C'est d'elle dont parlent tous les manuscrits retrouvés. Du silence, de l'absence d'évasion, de ce monde à l'envers où le meurtre est devenu la norme et l'impératif moral d'un peuple saisi d'angoisse obsidionale.
S'y ajoutent les dépositions, lors du procès de Cracovie en 1946, de trois rescapés des Sonderkommandos, témoignages qui confirment, entre autres, l'intensité du massacre des Juifs de Hongrie au printemps 1944, les documents d'histoire, les photos de déportations, les archives allemandes. Témoignages qui racontent la panique de la chambre à gaz, des victimes mortes asphyxiées, piétinées, avant même que n'opère le gaz dans des scènes à proprement parler inimaginables. Mais qui évoquent aussi la jouissance prise à humilier et à martyriser autrui, le sadisme sans limites, puisque tout était permis contre un peuple placé hors humanité.
Alors que l'Holocauste s'éloigne dans le temps, ses survivants et témoins disparaissent, laissant à la génération suivante la responsabilité de prendre soin de son héritage. Eva Hoffman, fille de survivants juifs polonais élevée au Canada, se penche sur la manière dont se transmettent les souvenirs personnels de ces épreuves, décrit son combat de petite fille pour éviter d'être une « victime de victimes », autrement dit pour échapper à cet héritage trop lourd sans renier ses parents, et nous invite à réfléchir à l'impact différé de la Shoah sur la « génération d'après » et aux processus souterrains par lesquels la mémoire de la souffrance se transmet, par opposition aux stratagèmes plus volontaristes de la mémoire collective.
En regardant son propre vécu de fille de survivants à travers les prismes de l'histoire, de la psychologie et de la morale, Eva Hoffman nous donne des clés pour appréhender les mécanismes par lesquels l'individu s'approprie la malédiction de son ascendance pour mieux s'en libérer. Elle revendique son droit à une mémoire personnelle qui ne soit pas contaminée par le masochisme ou la mauvaise conscience, et dénonce les rites convenus du « devoir de mémoire », leur préférant une recherche exigeante d'authenticité - celle, éminemment individuelle, des faits comme celle des sentiments.
Après un tel savoir... (titre tirée d'un poème de T.S. Eliot) est un essai brillant, personnel et érudit, qui a été salué à sa sortie comme un événement par une presse américaine unanime.
Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du Livre.